Les quatre éléments
Bernard Teulon-Nouailles
Certes, bien des nouvelles galeries sont venues récemment dynamiser le centre historique de Montpellier. Il ne fait aucun doute pourtant que la présence durable d'Hélène Trintignan aura joué un rôle attractif puissant, à la manière des astres autour desquels gravitent des planètes plus ou moins fréquentées. Anne Slacik était l'artiste rêvée pour "habiter" cet astre de ses rayonnements solaires, d'une atmosphère azurée, de frémissements telluriques, ou de vitalité aquatique, source de vie.
Si la peinture d'Anne Slacik donne une impression de fluidité, c'est sans doute parce que dans l'univers gorgé d'images dans lequel nous vivons, rien ne paraît plus sain que le nettoyage de notre regard à grandes eaux, et du cerveau par la même occasion, qui perd petit à petit ses repères ancestraux. Rare est en effet la Peinture qui donne à éprouver une telle impression de décantation, comme si l'artiste passait la réalité au tamis de la nécessité absolue, éliminant l'accessoire, n'en retenant, à la manière d'un chercheur d'or, que la précieuse quintessence. Une couleur dominante, de subtiles nuances, de vagues oppositions de valeur : voilà qui suffit à Anne Slacik pour recréer un monde post diluvien, "aussitôt que l'idée du déluge se fut rassise", écrivait Rimbaud. La référence au poète n'est point innocente.
Grâce à ses "manuscrits peints" cette artiste collabore sans cesse avec les prophètes et devins des mots. Plus profondément, elle peint à la manière du poète qui, à partir de quelques mots jetés sur la feuille blanche, s'ouvre des perspectives dans un espace mental insoupçonné et qui se dévoile au fur et à mesure qu'on le poursuit. Comme le Poème creuse un lit fluvial qui révèle du sens, la Peinture rend visible ce qui sans elle demeurerait dans quelque limbe virtuelle. L'artiste accomplit en quelque sorte un geste de démiurge en ouvrant de nouveaux espaces au réel, en actualisant ce qui ne demandait qu'à germer comme la nature, à s'affirmer sous l'effet de la chaleur solaire , à s'ébranler comme les vents de l'esprit ou à sourdre à l'instar de toute source de vie. C'est évoquer les quatre éléments.
L'Oeuvre d'Anne Slacik, sur toile ou sur papier, procède par cycles. Empruntant ses pigments à la nature, elle développe de subtiles et infinies variations autour de gestes qui, sans être répétitifs, relèvent d'un même rituel : déposer, agiter, retoucher, relever. Le résultat visuel dépend certes de chacun mais ne peut se départir d'une interprétation générale qui nous met en communication avec ce qu'il y a de plus authentique dans la présence de l'être au monde. A savoir que l'animal vertical que nous sommes évolue dans un environnement à caractère cardinal et qu'il associe à ces points cardinaux les éléments qui nous sont consubstantiels, y compris dans notre chair, et les couleurs qui les désignent le mieux : Le haut et l'air sera ainsi associé au bleu, le feu qui naît à l'Est au rouge, le bas avec la terre jaunâtre et l'Ouest à l'Eau verte, pour des raisons culturelles évidentes. C'est donc à une géographie à la fois intime et universelle que nous convie l'artiste en sa re-création du monde par des moyens spécifiquement picturaux. Toutes les modulations seront dès lors possibles, qu'il s'agisse d'intensifier la densité, le grain de la surface, les éclats lumineux ou les zones d'ombre.
2004